L'année
2004 figurera sans doute dans les annales de l'Histoire comme l'année
de l'Europe. Non seulement en raison du pas décisif vers la
réunification du continent avec l'adhésion des jeunes démocraties
d'Europe centrale et orientale, de Chypre et de Malte le 1er mai.
Mais aussi à cause de l'adoption en juin du traité constitutionnel, qui sera ratifié à Rome fin octobre.
Avec ces avancées décisives sur le double front de l'élargissement
et de l'approfondissement de l'Union, c'est un cycle lancé il y a plus
de dix ans qui s'achève. C'est pourquoi 2004 est aussi l'année de
fondation de la nouvelle Europe.
Outre ces deux jalons fondateurs, soulignons encore d'autres faits
marquants de la vie communautaire qui font de 2004 une année charnière,
de transition et de changements : les élections européennes qui, pour
la première fois, ont amené aux urnes des millions de citoyens de
l'Europe unie pour élire un Parlement commun ;
la nomination par les 25 membres d'un nouveau président pour la
Commission, José Manuel Durao Barroso, avec l'aval du nouveau Parlement
; la constitution d'un exécutif communautaire renouvelé qui entrera en
fonctions en novembre.
Les prochaines années seront cruciales pour l'Europe, pour deux
raisons. D'une part, parce que, au-delà du processus d'adhésion, il
faut désormais assurer l'intégration des nouveaux membres.
J'estime que l'UE doit en faire sa priorité. En effet, si leur
pleine intégration échoue, cela entraînera l'effondrement de la
construction européenne en tant que projet de paix, de stabilité, de
prospérité partagée et de développement durable fondé sur l'économie
sociale de marché, la solidarité et la cohésion économique, sociale et
territoriale entre tous ses membres.
D'autre part, parce que l'approfondissement politique de l'Union n'a
pas pris fin avec l'adoption d'une nouvelle Constitution, qu'il
convient d'ailleurs de saluer. Il s'agit d'une décision historique et
irréversible qui marque la fin d'un cycle prolongé et épuisant de
réformes incomplètes qui s'éternisait depuis Maastricht et mettait en
cause la crédibilité de l'UE.
Le consensus auquel sont parvenus les chefs d'Etat et de
gouvernement des Vingt-Cinq après l'échec enregistré au Conseil de
décembre 2003 traduit ainsi leur volonté sans équivoque de doter
l'Union d'une Constitution où tous les citoyens et les Etats se
retrouvent. Cette charte devrait aussi permettre de renouveler les
termes d'un pacte européen renforcé.
C'est, par ailleurs, la conviction qu'il ne s'agissait pas, à
l'heure actuelle, de procéder à une simple révision des traités qui a
amené le Conseil à innover dans la préparation des travaux.
La convocation inédite d'une convention fonctionnant à l'image d'une
assemblée constituante répond justement au dessein de l'UE de procéder
à une réforme de fond, fondée sur une définition plus claire de ses
objectifs, moyens et finalités, et de renforcer sa légitimité politique.
Ce qui est en jeu, c'est une loi fondamentale destinée à encadrer la
vie collective de centaines de millions d'Européens et à être appliquée
par tous les Etats membres.
C'est pourquoi il est compréhensible qu'il y ait, d'une part, une
inévitable et salutaire diversité de positions, d'attentes et de
revendications de départ et, de l'autre, un besoin de trouver des
compromis qui, par définition, exigent des concessions et,
probablement, l'acceptation de solutions négociées.
Celles-ci peuvent, selon les cas, rester en deçà ou aller au-delà
des prétentions individuelles des Etats membres. C'est ce qui s'est
produit lors du Conseil européen de juin. Et si l'impasse et le blocage
ont cédé le pas au dialogue et à la concertation, c'est justement parce
qu'il y avait une conscience commune plus forte que c'était l'avenir de
l'Europe qui était en jeu, et que cela valait la peine d'insister,
malgré le risque d'un nouvel échec.
Lors de ce Conseil, c'est l'intérêt général et le sens de l'Histoire
qui ont prévalu. C'est l'Europe unie qui a gagné. Mais il faut
maintenant gagner les Européens.
Il ne fait aucun doute que l'adoption du traité constitutionnel
représente un événement irréversible. Nous devons désormais nous battre
pour sa ratification. Personne n'ignore qu'il s'agira d'un processus
complexe et long, perméable à des interférences multiples et
aléatoires, souvent soumis à des conditions et à des questions
accessoires qui, sur le plan de la substance, lui sont complètement
étrangères. De même, personne n'ignore que le résultat de ce processus
est d'autant plus incertain que de nombreux référendums nationaux vont
avoir lieu.
Aussi est-il plus que jamais nécessaire de conjuguer nos efforts
pour relever l'énorme défi que représente la ratification de la
Constitution. Nous ne pouvons nous permettre de passer à côté de
l'occasion historique que ce défi représente pour l'Europe, pour chacun
de ses membres et pour tous les Européens. A l'issue de cette bataille,
il n'y aura ni vainqueurs ni vaincus. Nous prendrons en main notre
avenir ou nous reculerons dans l'Histoire.
Il ne fait pour moi aucun doute que nous misons juste en pariant sur
l'Europe et que, dans notre monde globalisé, l'intégration européenne
est devenue une question d'identité. C'est, donc, pour l'Europe, et non
contre elle, que nous devons nous battre, pour la défense
intransigeante du patrimoine de valeurs et de principes qui, jusqu'à
présent, ont modelé son visage. Et notamment en préservant l'égalité,
en renforçant la solidarité et en maintenant la cohésion entre ses
membres.
Le futur traité incarne une conception de l'Europe fidèle à la
vision de ses fondateurs, qui lui permettra de continuer à s'affirmer,
au cours de ce XXIe siècle, comme un espace de plus en plus vaste de paix, de démocratie, d'économie sociale de marché et de citoyenneté partagée.
Cette Constitution consacre les valeurs et les principes qui fondent
l'Europe comme projet commun de société et comme communauté de destin.
Elle y inclut désormais la charte des droits fondamentaux. Le principe
d'égalité entre les Etats membres est clairement stipulé dans le
respect de la diversité culturelle, religieuse et linguistique.
On y reconnaît le principe de cohésion sociale, économique et
territoriale de l'Union. On y réitère la volonté d'approfondir les
politiques communes pour garantir un avenir de prospérité, de sécurité
et de justice. On y ouvre la voie à un véritable gouvernement
économique de la zone euro en incitant ses membres à développer une
coordination encore plus étroite des politiques économiques au profit
du développement durable et de l'emploi. On y relance la politique
extérieure et de sécurité commune ainsi que la politique européenne de
défense.
Enfin, on y dote l'UE d'une architecture institutionnelle renforcée
qui lui permettra de poursuivre sur la voie de l'approfondissement
politique de l'Europe en tant qu'union d'Etats et de peuples, dans le
respect des identités et des diversités nationales.
Symbolisant le début d'un nouveau cycle dans la construction
européenne, le traité offrira aux Européens une vision de l'avenir et
un dessein politique en proposant des réponses adéquates aux défis que
lance le monde contemporain. Je pense en particulier à
l'approfondissement d'une politique commune en matière de justice et
d'affaires intérieures, qui y est préconisée et, naturellement, au
développement d'une politique extérieure, de sécurité et de défense
commune renforcée.
Celle-ci devrait permettre à l'UE de garantir son autonomie
stratégique dans les domaines essentiels de la sécurité. Mais aussi de
s'affirmer davantage chaque jour comme un moyen irremplaçable pour
atteindre la paix, la stabilité, la prospérité, la démocratie, la
justice et le respect des droits de l'homme dans le monde.
Telles sont, pour moi, quelques-unes de nos priorités, que la
Constitution valide pleinement en dotant l'Union des instruments pour y
répondre et en fixant le cadre de leur application. Il faut donc que ce
traité soit ratifié dans un délai raisonnable. Cet objectif doit être
notre cause commune.
Jorge Sampaio est président, socialiste, de la République portugaise.